Le personnel des deux EHPAD (Établissements d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) est en colère. Il dénonce un manque de moyen criant et des conditions de travail dégradées. Une grève illimitée a été déclenchée mardi 5 décembre dernier.
« 14 personnes à faire manger en une heure à la cuillère et 36 plateaux-repas à distribuer, c’est trop ! Il y a des gens qui ne mangent pas ! » Comme nombre de ses consœurs des deux maisons de retraite de l’hôpital de Louviers, Leïla Pitte, aide-soignante, dénonce des conditions de travail dégradées dans les établissements lovériens, les Rives Saint-Taurin et les 4 saisons, depuis plusieurs semaines déjà.
Tout est parti d’un rapport de l’Agence Régionale de Santé (ARS) établi suite à une inspection réalisée dans l’établissement, le tout déclenché par le témoignage à charge de la fille d’une résidente (voir ci dessous).
Le résultat, mis en avant par l’intersyndicale, est sans équivoque: il manque cinq postes pour un fonctionnement normal des établissements, le tout dans un contexte de réorganisation générale mené depuis plusieurs années dans les établissements lovériens.
« Le nombre de personnel n’a pas changé mais les cas sont de plus en plus lourds,souligne Etienne Prévost, délégué syndical Force Ouvrière. Nous avons de plus en plus de personnes médicalisées. Cela s’explique par un service à domicile de plus en plus efficace, et donc des résidants qui arrivent de plus en plus tard à la maison de retraite. » Une évolution des modes de vie qui n’a hélas pas été totalement prise en compte par les autorités de tutelles de l’hôpital.
Résultat la grosse centaine d’agents de deux maisons de retraite lovérienne a bien du mal à assurer la prise en charge des 156 résidents des Rives Saint-Taurin et de 71 des 4 Saisons. Etienne Prévost l’assure :
L’audit organisationnel dénonce l’épuisement des personnels et reconnaît qu’il manque cinq postes !
Tout serait réglé si ces cinq postes avaient été pourvus mais ce n’est pas l’option choisie par l’ARS. De fait, une réorganisation des horaires, avec des temps de travail ponctués de longues pauses, a été mise en place sans concertation. Ce d’autant qu’une autre mesure comptable a été prise: l’infirmière de nuit a été remplacée par une aide-soignante, moins chère et surtout prise en partie en charge par les services sociaux. Un problème tant pour les Rives Saint-Taurin que pour les 4 saisons, où les pathologies sont encore plus lourdes.
La goutte d’eau a fait déborder le vase et provoqué le tollé du personnel. « Aux Rives Saint-Taurin, nous nous retrouvons à trois pour lever les gens, faire les toilettes de ceux qui sont souillés, préparer les petits-déjeuners, déplore Édith Arroussi, aide-soignante. Et il y a des couloirs énormes ! »
Alors pour faire entendre leur mal-être, mais aussi par procuration celui des résidants, le personnel a décidé de se mettre en grève illimitée. Une grève sur le papier seulement… puisque comme le veut l’usage dans le milieu hospitalier, le personnel a immédiatement été assigné pour qu’il n’y ait pas de rupture dans le service apporté aux patients.
Mais chaque mardi, à l’occasion des « mardis de la colère », le personnel est bien décidé à faire entendre sa voix. « Nous voulons l’arrêt des temps coupés car ce n’est pas acceptable, indique Leïla Pitte. D’autant que l’on veut en plus nous faire faire des tâches que nous ne faisions pas auparavant, comme de mettre la table… »
Fort du bien-fondé de son action pour le bien-être général, le personnel de l’hôpital est bien décidé à prolonger cette grève jusqu’à l’obtention de leurs revendications. D’autant qu’avec le nouveau concept en humanitude, les frustrations sont grandes de ne pouvoir appliquer au quotidien les grandes idées bienveillantes de leurs autorités de tutelle.
Véronique Hamon : « Tous nos moyens sont utilisés » Véronique Hamon, vous êtes la directrice du centre hospitalier Elbeuf Louviers Val-de-Reuil. Comment expliquez-vous la grève dans les deux maisons de retraite de Louviers ? Nous avons eu une inspection sur l’une de nos maisons de retraite à la suite de quoi nous avons réalisé un audit organisationnel, à la demande de l’Agence Régionale de Santé (ARS). En découlent des propositions de réorganisation faites par les consultants. Pour limiter le nombre de postes supplémentaires, les propositions sont d’avoir des horaires coupés, c’est-à-dire avoir une période dans la journée qui interrompt la journée de travail ou sinon avoir des journées plus courtes, ce qui du coup supprime les RTT.
On parle de la création de cinq postes. Où sont-ils ? Je ne sais pas s’ils vont être créés. Soit on limite le nombre de postes, avec pour conséquences la nouvelle organisation refusée par les agents. Soit nous avons un élargissement du nombre de poste possible et il faudra sans doute retravailler sur une autre organisation. Les autorités de tutelle, l’agence régionale comme le département, travaillent dessus, avec les propositions du personnel.
Quelle sortie de crise est possible aujourd’hui ? La décision ne m’appartient pas. Pour l’instant, il s’agit de montrer aux autorités de tutelle que nous avons bien essayé de nous réorganiser. Et il faut souligner la bonne volonté du personnel pour essayer de trouver des solutions. Mais nous sommes dans un contexte difficile, sans beaucoup de moyens. Je ne peux néanmoins pas préjuger des décisions des autorités de tutelles.
Derrière tout cela, il y a des résidents. On parle alors de maltraitance, à cause d’un manque de temps pour bien s’occuper de chacun, d’autant que les pathologies sont aussi de plus en lourdes dans les EHPAD ? Nous aurons de toute façon de plus en plus de personnes dépendantes. Il y a une adéquation à trouver entre la possibilité financière d’avoir les effectifs suffisants et le fait de prendre en charge plus de dépendance qu’auparavant. Désormais, les personnes intègrent nos établissements lorsqu’elles ont une dépendance importante et qu’elles ne peuvent plus rester à domicile. Pour des raisons somatiques ou comportementales, les résidents ont des charges plus lourdes. Il faut trouver des solutions pour gérer cette perte d’autonomie.
D’autant qu’une maison de retraite, un EHPAD, coûte également très cher, plus de 2 000 euros par mois parfois. Il devrait y avoir un service à la hauteur de la somme payée, ce n’est pas le cas ? Je rappelle quand même que nous ne faisons aucun bénéfice ! Tous les moyens que l’on nous donne sont utilisés et bien utilisés. Après, c’est toujours la volonté du personnel de vouloir faire mieux. Mais nous avons des limites. C’est la problématique. Comment faire du mieux possible pour nos résidents avec les moyens que l’on nous donne ? Si c’était simple, nous ne serions pas dans cette situation.
Vous n’avez de toute façon pas les clés, qui sont dans les mains de l’ARS, voire du ministère… Nos clés, c’est de trouver avec nos équipes les meilleures solutions, de faire la meilleure réorganisation du temps de travail. Il y a une vraie volonté de trouver d’autres solutions, et c’est bien de se remettre en cause sur son fonctionnement quotidien. Nous sommes néanmoins limités par les effectifs accordés.
Vous êtes prêts à revenir sur ces temps coupés comme le réclame le personnel ? La décision n’est pas prise. Il s’agit de montrer que nous avons bien étudié toutes les solutions avant d’arriver à cette situation. Il faut voir aussi la réaction du personnel face à ces propositions.
NB : l’ARS n’a pas donné suite à notre demande d’interview.