Entre appels à la sobriété et revendication de pratiques sociales, les tribunes de dirigeants en faveur d’un monde meilleur se multiplient. Une prise de conscience loin de se traduire en actes.
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Entre appels à la sobriété et revendication de pratiques sociales, les tribunes de dirigeants en faveur d’un monde meilleur se multiplient. Une prise de conscience loin de se traduire en actes.
Revendications de liberté d’une partie de la jeunesse, difficultés de recrutement dans certains secteurs, prise de conscience, lors du Covid, de certains salariés de la futilité de leurs métiers, perspectives d’effondrement écologique. Les patrons se trouvent face à une situation inédite, que personne n’aurait imaginé il y a quelques années : un rejet massif du monde du travail, ou en tous cas des comportements de nombreux patrons. Alors, ils réagissent, au moins dans les mots.
Le 25 juin, les dirigeants d’Engie, d’EDF et de TotalEnergies estimaient dans le JDD que la flambée des prix de l’énergie « menaçait notre cohésion sociale et politique ». IIs indiquaient alors prendre leurs responsabilités, en diversifiant leurs approvisionnements et en prétendant, gag absolu, « viser la neutralité carbone ». Mais ils insistaient sur le fait que la hausse du coût de l’énergie menaçait la société tout entière.
Le 2 juillet, en réaction à ce texte, toujours dans le JDD, 84 dirigeants allaient plus loin en affirmant que la sobriété devait être un choix collectif. Au-delà d’exemples banals – seconde main dans le textile, réparabilité des objets – ces dirigeants affirmaient que la sobriété constituait désormais « la » réponse à la question la plus importante de notre temps : « Comment répondre aux besoins de chacun dans un monde aux limites planétaires dépassées et au consumérisme débridé ? »
La troisième couche de gentillesse a été posée le 16 juillet dernier par le Collectif d’entreprises pour une économie plus inclusive (sic), qui réunit les patrons de très grandes entreprises comme BNP Paribas, Carrefour, L’Oréal, Orange, Renault, et même…Korian (propriétaire de plusieurs Ehpad, on le rappelle, et visé par trente plaintes pour mise en danger de la vie d’autrui et non-assistance à personne en danger ou homicide involontaire). C’est d’ailleurs la PDGère de Korian, Sophie Boissard, qui est à l’origine de ce Collectif lancé en 2018 avec Thomas Buberl, le Directeur Général d’AXA.
Appelant à une coopération entre entreprises et territoires, ils se donnent pour premier objectif l’emploi des jeunes. Mais ils ne se foulent pas, en recourant massivement à l’apprentissage et à l’alternance, ce qui est certes utile pour les jeunes concernés, mais qui correspond à de très faibles salaires, subventionnés par l’État.
Le second objectif est la réduction de la précarité. Il s’agit, selon leur tribune, d’aider les familles pauvres à acheter de la nourriture pour bébé ou encore des ordinateurs reconditionnés. C’est certes sympa, mais les camarades patrons vont-ils augmenter les salaires ? Non, bien sûr. Rappelons qu’un salaire moyen de PDG du CAC 40 représente 450 fois le Smic en 2021. En ce qui concerne Korian, par exemple, la PDGère gagne 490 000 euros brut (même si elle a réduit sa rémunération de 25% à la suite du Covid). Les salariés les moins bien payés, eux – comme les auxiliaires de vie – sont à 20 400 euros par an, soit 24 fois moins que leur patronne.
Le troisième objectif, qui donne son titre à la tribune, porte sur « les achats inclusifs ». Après les achats responsables, solidaires, voici donc venu le temps de l’inclusivité, utilisé ici pour désigner le fait d’arrêter d’acheter des merdouilles fabriquées à l’autre bout du monde.
Problème : le modèle économique des entreprises signataires repose sur la concurrence fiscale et sociale permise par la mondialisation. De ce fait, comment prôner l’exact inverse ? En étant flou. Il s’agit en effet d’orienter une partie de leurs achats « vers les entreprises sociales et solidaires et vers les territoires qui en ont besoin, et d’engager l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement dans une démarche d’inclusion sociale ». Bon courage pour traduire cela en français… ●