Des personnes agées regardent la télévision dans une salle climatisée de la maison de retraite Saint-Vincent, une des plus grande du département du Rhône. | AFP/JEAN-PHILIPPE
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Les maisons de retraite sont-elles des lieux d'enfermement ? Si elle peut paraître choquante, la question est directement posée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, qui rend public son rapport annuel, lundi 25 février. M. Delarue fait un parallèle entre les prisons et les hôpitaux psychiatriques d'une part, et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de l'autre, qu'il réclame de pouvoir contrôler. "Juridiquement cela n'a rien à voir mais, dans le fonctionnement, cela a tout à voir", dit-il.
En mai 2012, il avait proposé au premier ministre, Jean-Marc Ayrault, d'élargir son champ de compétences aux Ehpad, demande restée sans réponse. Il l'officialise désormais au grand jour, alors qu'est relancé le débat sur l'équilibre entre sécurité et liberté dans les maisons de retraite. Depuis la mi-janvier, quatre personnes âgées sont décédées après avoir été portées disparues des établissements où elles résidaient.
M. Delarue soulève les risques d'atteinte aux droits fondamentaux des personnes âgées, une population vulnérable. Alors que des enquêtes administratives ne sont déclenchées qu'en cas d'incident grave, il estime qu'autoriser les visites inopinées de son équipe de contrôleurs dans les Ehpad aurait "un effet dissuasif", comme cela a été le cas pour les commissariats notamment, depuis la création de sa fonction.
DES MESURES DE PROTECTION CONTRE LES FUGUES
Une telle proposition ne manquera pas de faire débat. La compétence du contrôleur général concerne les lieux de privation de liberté où une personne est adressée à la suite de la décision d'une autorité publique (juge, officier de police...), tandis que la personne âgée donne normalement son accord pour résider dans une maison de retraite. Mais M. Delarue note des similitudes avec les prisons ou les hôpitaux psychiatriques dans l'évolution des Ehpad : "Les facteurs de responsabilité les poussent à multiplier les verrous de sécurité", constate-t-il.
Selon une enquête réalisée en 2009 par la Fondation Médéric Alzheimer, 88 % des Ehpad déclaraient avoir recours à des "mesures de protections" pour éviter les fugues : ces dernières années se sont multipliées les unités Alzheimer fermées, les digicodes, les portiques qui réagissent à des puces placées dans les vêtements ou les chaussures des résidents, les bracelets électroniques.
A la suite des décès des quatre résidents ayant échappé à la vigilance du personnel, la ministre déléguée aux personnes âgées et à l'autonomie, Michèle Delaunay, a souhaité que la "géolocalisation à des fins de protection de la personne" soit inscrite dans la réflexion du comité national pour la bientraitance et les droits, lancé le 12 février. Elle n'utilise toutefois par le terme de bracelet électronique, préférant celui de "bracelet d'autonomie" - ce qui permet d'éviter tout parallèle avec les détenus. Mais elle ne nie pas pour autant le débat éthique. En 2010, la CNIL avait d'ailleurs pointé des dérives potentielles. "Je ne veux pas transformer les Ehpad en lieu de privation de liberté, c'est totalement l'inverse", insiste Mme Delaunay, pour qui le port du bracelet accorderait plus de liberté.
DES RÈGLES DE PRESCRIPTION ET D'UTILISATION DES BRACELETS
La ministre juge néanmoins qu'il est grand temps de définir des règles de prescription et d'utilisation de ces bracelets et plus largement de tout outil restreignant la liberté d'aller et venir. Chaque Ehpad établit ses propres protocoles, se basant sur des recommandations générales d'experts de 2004. Depuis, les choses ont pourtant beaucoup évolué, les nouvelles technologies apportant toujours plus de possibilités.
Une clarification en termes juridiques et de bonnes pratiques est aussi jugée nécessaire par Didier Armaingaud, directeur médical du groupe d'Ehpad Medica : "Les équipes comme les familles ont envie de trouver des solutions éthiquement acceptables." Selon lui, ces bracelets ont un avantage : ils permettent la sortie de personnes âgées, souffrant de troubles cognitifs, qui n'y étaient plus autorisées de peur qu'elles se perdent. Une crainte souvent émise par la famille.
"C'est dur d'être contre ces bracelets, mais ils ne doivent pas devenir un moyen de pallier le manque de personnel car on voit bien que, quand le personnel est en nombre suffisant et formé aux troubles cognitifs, il y a moins de personnes âgées qui veulent s'échapper", juge Joëlle Le Gall, présidente de la Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles. Pour elle, "évidemment", les Ehpad portent atteinte à la liberté : "Je sais que les mots sont forts, mais je considère que ce sont des prisons. On n'y a pas la possibilité d'y faire ce qu'on veut, comme manger ou dormir quand on veut." "D'être du jour au lendemain transporté dans un établissement collectif, on a beau dire qu'on a le choix, on ne l'a pas", poursuit-elle, évoquant le "choix contraint" de personnes qui ne veulent pas être un poids pour leurs enfants.
Parmi ceux qui fuguent, il y a des personnes désorientées, mais aussi d'autres qui refusent leur placement. "Je dois reconnaître qu'il arrive qu'une personne n'ait pas signé pour entrer", explique Mme Delaunay. Elle estime qu'il y a là aussi des progrès à faire, envisageant la mise en place de conditions de consentement très précises, comme pour l'entrée dans un essai thérapeutique. Mais la ministre ne voit pas dans les Ehpad des lieux de privation de liberté. "Ce sont des lieux restrictifs de liberté uniquement dans l'intérêt de la personne, ce qui est différent", insiste-t-elle, en réponse à M. Delarue.
D'autres points font aussi débat, comme la "camisole chimique" - la prescription de fortes doses de calmants aux personnes agitées - qui a pu remplacer la contention physique, possible sur prescription médicale. M. Delarue estime que des visites pourraient permettre de vérifier que les traitements sont bien "utiles, et proportionnés". Encore une bonne raison d'exercer un contrôle.
Laetitia Clavreul