17 janvier 2011
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Notre ami Loïc PEN, médecin urgentiste à l'Hôpital de Creil, vient
d'écrire une lettre ouverte face à la dégradation des conditions de
soins.
Un appel à tous à résister aux choix actuels du gouvernement de
liquider la santé publique au profit des grands groupes de cliniques
privées.
A lire et faire circuler comme une incitation à agir et à ne plus
laisser faire ces reculs de civilisation que nous imposent ceux qui
nous gouvernent !
"Une vieille dame hurle qu’elle veut retourner chez elle. Plus loin
d’autres personnes âgées gémissent ou tremblent de peur dans cet
environnement inquiétant. Certaines se sont urinées dessus. Ailleurs,
c’est un patient en chimiothérapie qui s’est aggravé. Dans ce coin
c’est une patiente délirante attachée à son brancard… . Faute de place,
ils sont une vingtaine dans le couloir des urgences de Creil. C’est un
chiffre moyen, une journée ordinaire. Ils sont entassés les uns sur les
autres sans intimité. L’infirmière court partout, débordée. C’est une
professionnelle expérimentée. Elle est depuis plusieurs années aux
urgences. Elle me dit qu’elle a envie de pleurer. L’interne, quant à
elle, a déjà craqué, de même qu’une infirmière plus jeune que
j’aperçois en larme. Pour ma part, je suis coincé au déchoquage avec un
patient entre la vie et la mort… je ne les aiderai pas.
« Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale c’est qu’on s’y habitue
»Simone de Beauvoir Cela fait environ 6 ans que cela dure et c’est de
pire en pire. Il y a 6 ans, nous étions 19 médecins temps plein, nous
sommes désormais 15, nous devrions être 25. On compense par des heures
supplémentaires… Récemment, en faisant la visite un lundi matin, j’ai
trouvé deux « pré-infarctus » ignorés depuis 48 heures et un patient en
arythmie cardiaque que l’on n’avait pas anti-coagulé et qui risquait
l’accident vasculaire cérébral. Après un moment de colère, j’ai pris
connaissance de la situation aux urgences 48h avant : Critique ; des
patients partout, des équipes débordées. Les médecins qui ont vu ces
patients, je les connais depuis des années. D’excellents
professionnels, particulièrement rigoureux. Ca peut m’arriver ; ça va
m’arriver. Cette fois ci nous avons de la chance, tout fini bien. Nous
allons finir par tuer des patients.
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Si les urgences
de Creil sont particulièrement en difficulté, cette situation n’est pas
isolée. Partout, les urgences et les hôpitaux souffrent, c’est partout
la même politique de liquidation de l’hôpital public. En changeant le
mode de financement de nos hôpitaux, les gouvernements de ces dernières
années ont rendu les hôpitaux publics déficitaires. Aujourd’hui, ils
s’appuient sur ces déficits qu’ils ont provoqués pour justifier la
casse. Cette casse sert à dégager le terrain pour le secteur privé
lucratif. Le service public est rendu incapable de remplir ses
missions, reste le service payant. Tout s’accélère, la fusion
démolition des hôpitaux de Creil et de Senlis est en route. La
direction commune de ces hôpitaux a été votée. Nos services sont mis à
genoux. Il restera à ramasser les morceaux pour un regroupement peau de
chagrin.
Travailler plus pour gagner moins. En fin d’année, la direction de
l’hôpital de Creil a décidé de modifier le mode de comptabilisation des
heures des médecins du pole urgence, réanimation, anesthésie. Avec
l’instauration d’un comptage plus défavorable aux médecins, le but de
la manœuvre semble être de faire encore des économies. Devant cette
situation, les médecins dans leur majorité ont décidé de ne plus
travailler que 40 heures hebdomadaire et de ne plus faire d’heure
supplémentaire. Des anesthésistes qui travaillent moins, ce sont des
interventions chirurgicales en moins. Des réanimateurs qui ne font plus
d’heures supplémentaires, ce sont 4 lits fermés sur les 12 que compte
ce service pourtant vital. Et pour les urgences, ce sont des médecins
en moins à l’accueil du patient. Certains jours, il pourrait n’y avoir
que deux médecins là ou il y en a 5 actuellement. Ca peut arriver, ça
va arriver. On ne peut plus demander aux professionnels de santé
d’assumer les aberrations des politiques de santé. Nous avons une
responsabilité collective à nous indigner et à résister.
« Le motif de la résistance, c’est l’indignation » Stéphane Hessel Nous
devons tous nous préoccuper de ce qui arrive dans nos hôpitaux.
L’indifférence serait la pire des attitudes. Si nous ne résistons pas
c’est le droit à la santé pour tous qui va disparaître. La situation
est inadmissible, tout ce qui permettait un contrôle démocratique des
hôpitaux (instances comprenant des élus, des syndicalistes, des
professionnels, des usagers, avec de vrais pouvoirs) a été balayé par
la loi Bachelot. Cette loi transforme les directeurs en dictateurs
d’hôpitaux. Eux-mêmes sont sous la coupe de l’agence régionale de santé
et in fine du ministre lui-même. Adieu démocratie locale, adieu
autogestion, bonjour technocratie autoritaire ! Cette situation est
dénoncée dans l’appel des soignants du MDHP (Mouvement de Défense de
l’Hôpital Public) qui explique le conflit éthique entre le devoir
d’assurer la qualité des soins et l’exigence de rentabilité financière…
« Celui qui se bat peut perdre, celui qui ne se bat pas a déjà perdu
»Berthold Brecht. Au-delà de l’appel des soignants, c’est à chaque
citoyen qu’il incombe de s’exprimer. Intervenez auprès de vos élus. Les
députés de droite d’abord dont la responsabilité est immense mais aussi
tous les élus locaux du maire au conseiller général. Demandez des
comptes à ceux qui soutiennent la fusion des hôpitaux. Demandez-leur
s’ils mesurent le désastre en cour. Faites pression pour qu’ils exigent
un moratoire sur la fusion des hôpitaux de Creil et de Senlis et une
commission d’enquête incluant des élus, des usagers, des syndicalistes,
des professionnels de terrain pour en mesurer les effets. Qu’ils
écrivent au préfet, au ministre, au directeur d’ARS pour demander des
comptes. Exigez une subvention d’équilibre de l’état pour apurer les
déficits des hôpitaux de Creil et de Senlis. C’est la seule façon d’en
finir avec les plans de retour à l’équilibre qui détruisent l’hôpital.
C’est la seule façon de repartir sur le seul indicateur valable : les
besoins de santé publique. Nous avons besoin de démocratie, besoin de
véritables assises départementales de la santé. Nous ne devons plus
laisser les décisions à des responsables coupés des réalités
quotidiennes. J’interviens ici comme médecin et comme militant
politique, un mélange des genres qui me sera reproché. Mais mon métier
me fait obligation de dénoncer la situation dangereuse pour les
patients et mon engagement le devoir de me battre avec vous pour
changer cette politique. Alors allons-y !! Allez vraiment voir vos
élus, ne cédez pas à l’indifférence, c’est un enjeu pour maintenant et
pour demain."
Loïc PEN, médecin urgentiste à Creil, candidat du Front de Gauche aux
élections européennes de 2009