Santé
Examen clinique
Le modèle économique de Capio, exploitant de cliniques privées
Si
les romans policiers suédois sont devenus un modèle du genre depuis Stieg Larsson et sa série Millenium, la référence suédoise en matière de santé est moins connue. Pourtant Capio, troisième
exploitant de cliniques privées en France, est bel et bien scandinave. Et la France reste le premier marché de ce groupe qui y possède 26 établissements et y réalise 490 millions d’euros de
chiffre d’affaires.
Pour être rentable, dans un univers où les tarifs sont fixés par l’assurance maladie,
l’opérateur mise sur un fort taux d’occupation de ses lits et de ses blocs opératoires, tout en réduisant la durée de séjour des patients. S’y ajoute une politique de spécialisation et de
regroupement, des sites qui deviennent incontournables et génèrent plus d’activité. L’objectif de Capio est que pour l’avenir, le critère de choix du patient ne soit plus uniquement le nom du
praticien, mais l’enseigne de la clinique.
Banco pour une décennie supplémentaire ! Le 27 mars, après un an d’appel d’offres, Capio a été reconduit
pour la gestion d’un des principaux hôpitaux de Stockholm : Saint-Göran. Ce navire amiral de la capitale suédoise compte 300 lits et affiche 145 millions d’euros de chiffre d’affaires. Un succès
symbolique pour cet opérateur de santé qui a commencé son ascension en pleine crise des finances publiques suédoises il y a près de 20 ans.
A l’époque, une collectivité locale suédoise choisit de confier à Capio la gestion de son
laboratoire d’analyses médicales. Depuis, le groupe gère 60 établissements hospitaliers au Royaume-Uni, en Allemagne, en Norvège et en France, devenu son premier marché avec 48 % du chiffre
d’affaires réalisé, soit 490 millions d’euros en 2011. Cette présence importante n’est absolument pas le fruit du hasard. “La France est le plus grand marché d’hospitalisation privée d’Europe
avec 12 milliards d’euros par an, soit 60 % des actes de chirurgie réalisés dans l’Hexagone”, rappelle le directeur général délégué de Capio en France, Philippe Durand.
Tarifs et ouvertures réglementées
Pour aussi attractif qu’il soit, le marché français de la santé n’est cependant pas le plus facile d’accès. Un gestionnaire de clinique, dont le métier est de soigner un patient durant un temps
de séjour déterminé, ne décide cependant ni du tarif des actes pratiqués, ni de la durée de séjour. Ces deux variables sont exclusivement du pouvoir de la Caisse nationale d’assurance maladie
(Cnam), en clair, le payeur des actes de santé, lui-même alimenté par les cotisations des entreprises, des salariés et des travailleurs indépendants.
Le système de la tarification à l’activité (T2A) repose donc sur une nomenclature de 2 300
groupes de séjours hospitaliers. Ils correspondent à autant de prestations que peuvent réaliser les établissements de santé. Ainsi, un accouchement est rémunéré par l’assurance maladie 1 800
euros et une intervention ophtalmologique sur la cataracte 800 euros. Avec ce forfait, la clinique doit rémunérer son personnel, acheter des produits à usage unique, amortir ses investissements
tels que les blocs opératoires ou le système d’imagerie. Elle se doit, en outre, de nourrir le patient pendant son séjour et éventuellement d’assumer une responsabilité financière en cas de
mauvaise pratique.
“Nous consacrons 20 % de nos dépenses aux consommables et produits divers, 30 % aux frais de
personnels directs, 35 % aux charges diverses que sont la restauration, l’amortissement du matériel et des locaux. Nos frais de structure sont de l’ordre de 10 %, ce qui nous laisse en moyenne
une marge de 5 %”, détaille Philippe Durand. La part de revenus totalement maîtrisée par Capio reste, au final, très marginale. Il s’agit des recettes liées à l’octroi d’une chambre particulière
(environ 70 euros/nuit) et la facturation des locaux utilisés par les médecins pour leurs consultations pré ou post-opératoires. Au total, 5 % du chiffre d’affaires.
Pour les gestionnaires de clinique, la contrainte ne se résume pas à une grille de tarifs,
elle s’exerce aussi via la carte sanitaire qui réglemente strictement les ouvertures et les fermetures d’établissement. Or la France est aujourd’hui en surcapacité médicale, ce qui lui interdit
de fait toute création, ex nihilo, de centre de soins. Chaque nouvel entrant sur le marché est donc condamné à racheter des cliniques déjà existantes s’il veut se développer.
C’est précisément le choix opéré par Capio en octobre 2002. Afin d’obtenir un ticket d’entrée,
le groupe suédois débourse alors 160 millions d’euros pour un ensemble de 15 cliniques détenues alors par Suez. Depuis, la croissance a été le fruit de rachats successifs d’établissements. Il
s’agit souvent d’entités indépendantes créées par des médecins et qui n’arrivent plus à équilibrer leurs comptes du fait de l’augmentation de leurs charges fixes.
Capital intensif
Capio, comme ses principaux concurrents – Générale de santé, Vitalia -, compte des fonds d’investissement dans son actionnariat. Leur présence s’explique d’abord par le fait qu’ils étaient en
capacité, de par leurs liquidités, à entrer dans cette activité très gourmande en capital. Une contrainte compensée par une exposition aux risques plus faible que dans d’autres activités de
service.
“Les fonds d’investissement ont d’abord été attirés par le fait qu’en France, la santé est un
secteur dont les recettes sont solvabilisées par l’assurance maladie, même si le taux de marge n’est pas au rendez-vous. Les années 2004 et 2005 ont en outre été assez fastes car la mise en place
de la tarification à l’activité a été l’occasion d’un rattrapage sur le prix des actes”, analyse Benoît Péricard, ancien patron de centre hospitalier universitaire (CHU) et aujourd’hui associé
chez KPMG pour le secteur santé. L’existence d’une clientèle captive et solvable a même créé une mini- bulle entre 2005 et 2008.
Les fonds d’investissement ont alors misé sur ce secteur et les valeurs d’acquisition ont
alors atteint 10 à 12 fois le résultat d’exploitation. Résultat, Blackstone, actionnaire du numéro 2 français des cliniques Vitalia, n’a pas réussi à revendre sa participation au tarif escompté.
Il a donc choisi de la conserver. Prudent, Capio a opté pour une stratégie plus patrimoniale. Le groupe a peu acheté durant les périodes de surchauffe. En revanche, il a choisi d’être
propriétaire de tous les murs de ses établissements, qui sont ensuite refacturés sous forme de loyer pour chacune des cliniques. L’impact sur la rentabilité n’est pas négligeable puisqu’elle
atteint de manière globale 7 %, mais se limite à 3,5 % sur la seule activité médicale. Cette stratégie impacte également la valorisation de la filiale France de Capio, estimée à 400 millions
d’euros compte tenu de ses actifs immobiliers.
Les médecins, pièce maîtresse
S’il ne maîtrise pas ses recettes, le groupe Capio entretient en outre une relation particulière avec “ses apporteurs de clientèle”. Aujourd’hui le premier critère de choix d’une clinique pour un
patient est le médecin qui va pratiquer l’intervention ou l’examen. C’est donc sur cette fonction que repose non seulement le niveau d’activité mais aussi l’image et la réputation d’un
établissement. Or les 1 200 praticiens officiant quotidiennement dans les 26 cliniques et réalisant chaque année 800 000 actes médicaux ne sont ni salariés, ni rémunérés par Capio.
Leurs honoraires liés au nombre d’actes réalisés leurs sont réglés directement par l’assurance
maladie. Ils ne sont liés à l’établissement dans lequel ils exercent que par un “contrat d’exercice libéral”. Et lorsqu’ils choisissent de fixer leurs honoraires au-delà du taux de remboursement
de la Sécurité sociale et des assurances complémentaires, la clinique n’a aucun droit de regard. “Nous sommes dans une logique de codépendance. L’intérêt du praticien est d’exercer de la “belle
médecine” et de pérenniser son activité. En cas de divergence de vue, les contrats prévoient une clause de sortie avec un préavis”, précise François Demesmay, directeur des activités médicales et
lui-même médecin.
Pour faire face à cette dualité de pouvoirs, Capio a joué une carte particulière et sans doute
très suédoise. Bon nombre de ses managers ont d’abord été médecins avant de bifurquer vers des fonctions de direction. Ainsi, le comité exécutif compte 4 médecins et une infirmière sur un total
de 9 membres. Quatre praticiens sont également présents parmi les 10 administrateurs du groupe. Le directeur général de Capio France, Sveneric Svensson, a d’abord été chirurgien cardiaque durant
20 ans. “En Suède il n’existe pas de différences entre la médecine et le management”, précise-t-il au Nouvel Economiste.
L’industrialisation des actes de soin
Compte tenu de toutes les contraintes qui existent dans l’activité hospitalière, les actionnaires et les dirigeants de cliniques privées, sans doute plus que d’autres encore, ont été contraints
de repenser les modèles de fonctionnement. Ainsi, un bloc opératoire, compte tenu de son coût d’investissement, doit rester, le moins possible, lumières éteintes. Dans les 180 salles d’opération
du groupe Capio, le taux d’utilisation atteint 70 %. Parallèlement, un patient est d’autant plus rentable pour une clinique qu’il reste moins longtemps dans ses murs.
“En France la durée moyenne d’hospitalisation pour une chirurgie du colon est de 12 jours, en
Suède elle n’est que de 3”, constate Philippe Durand, le directeur général délégué. De fait, au sein du groupe Capio la durée moyenne de séjour ne dépasse pas 4,3 jours. Il est vrai que l’accent
est tout particulièrement mis sur les techniques ambulatoires qui nécessitent une hospitalisation de moins de 24 heures. En clair le patient n’utilise pas de chambre, prend moins de repas mais la
rémunération versée par l’assurance maladie reste la même.
“Sur une hernie tarifée à 1 200 euros, le traitement d’un patient en hospitalisation classique
avec une ou deux nuits consomme 3 heures de personnel soignant/jour, pour une rentabilité proche de 0. En chirurgie ambulatoire, le même patient n’aura besoin que d’une heure de personnel
soignant et la rentabilité pour la clinique sur cet acte atteint alors 15 %”, calcule Fabrice Hardouin, directeur du pôle d’exploitation Lyon Ouest, berceau historique de Capio.
La spécialisation, nerf de la guerre
Si nombre de cliniques indépendantes sont aujourd’hui déficitaires, c’est qu’elles continuent à se référer à leur appellation originale de “polyclinique” et donc à proposer une grande variété de
spécialités. Or “en matière médicale, ce qui se fait bien se fait souvent. Les établissements comme les praticiens se spécialisent de plus en plus sur un organe”, rappelle François Demesmay, le
directeur de la politique médicale. Progressivement, les établissements du groupe Capio se spécialisent sur quelques disciplines médicales. L’avantage est double.
D’abord la multiplication d’un acte identique fait chuter son coût unitaire, ensuite la
reconnaissance, voire la labellisation qui en résulte, déclenche mécaniquement une augmentation de l’activité dans ladite discipline. Aujourd’hui, une des entités, la clinique de la Sauvegarde,
vient d’être référencée parmi les 37 centres français de lutte contre l’obésité. Cette distinction permet ensuite de construire une offre globale en amont et en aval de l’intervention qui va des
consultations médicales aux conseils en nutrition. Cette spécialisation est d’autant plus indispensable que certaines disciplines sont notoirement plus rentables que d’autres. Ainsi la chirurgie
digestive et l’urologie sont moins rentables, l’orthopédie et l’ophtalmologie plus lucratives.
“Quant aux accouchements, il faut en faire au minimum 1 000 par an car ils nécessitent des
effectifs disponibles 7jours sur 7 et 24 h sur 24”, prévient le directeur de la politique médicale François Demesmay. L’une des dernières acquisitions de Capio, à Domont (Ile-de-France), est
justement une clinique qui réalise 70 % de son activité en chirurgie orthopédique. “Ne subsisteront pour l’avenir que ceux qui peuvent démontrer l’excellence de leur pratique”, prédit François
Demesmay.
La logique de regroupement
Pour autant, la spécialisation n’est qu’une étape intermédiaire dans la stratégie de Capio. Le groupe doit maintenir sa rentabilité, alors que les tarifs de l’assurance maladie ne sont quasiment
pas réévalués (0,19 % en 2012) et que les points d’indice des personnels infirmiers sont revalorisés. Après une politique de rachat intensive jusqu’en 2006, l’heure est maintenant, pour Capio, au
regroupement d’établissements. A Toulouse comme dans la région lyonnaise, des fusions de cliniques sont en cours.
L’objectif ? constituer des pôles incontournables pour les patients comme pour les médecins.
Au passage, quelques économies sur le back-office vont être trouvées, mais surtout, ce mouvement préfigure une véritable révolution dans le positionnement des cliniques du groupe Capio. Jusqu’à
présent, un patient choisissait d’abord un médecin ou un chirurgien avant de sélectionner un établissement. Or sous la double influence d’Internet et des classements établis chaque année par les
magazines, les pratiques sont en train de changer. L’image et la réputation d’un centre de soins pèsent de plus en plus dans la décision ; d’autant que le ministère de la Santé est lui aussi
entré dans la danse en publiant chaque année son propre classement en fonction des efforts réalisés dans la lutte contre les infections nosocomiales.
“Aujourd’hui on labellise des centres et des équipes médicales. Un médecin, pour être visible,
doit désormais être dans un centre référencé. Le rapport praticien/établissement se rééquilibre”, estime le directeur du pôle lyonnais de Capio, François Hardouin. L’enjeu est d’autant plus
important que la France souffre encore d’un excédent de capacité hospitalière. “Le ratio lit/patient est 2,3 fois plus élevé en France qu’en Suède”, note le directeur de la politique médicale
François Demesmay. “A chaque regroupement, ce sont entre 10 et 30 % des lits qui disparaissent dans l’opération. A terme, dans les villes de moins de 150 000 habitants, il n’y aura plus qu’un
seul plateau technique”, anticipe Benoît Péricard, en charge du secteur santé au sein du cabinet KPMG.
Il faudra alors choisir si l’opérateur est public ou privé. En ce domaine, Capio, fort de son
expérience suédoise de gestion des hôpitaux publics, sera à même de se mettre sur les rangs. Jusqu’à présent, en France, on ne compte qu’un seul cas de figure récent dans lequel c’est, à
l’inverse, un hôpital public qui a racheté une clinique privée. L’opération s’est déroulée à Château-Gontier en Mayenne, une ville dont le maire, Jean Arthuis, est expert-comptable et ancien
ministre de l’Economie.
Chiffres révélateurs
Le groupe Capio est détenu depuis 2006 par trois fonds d’investissement : APAX Worldwide,
Nordic Capital et Apax France. Il possède 4 900 lits et 240 blocs opératoires répartis dans 60 établissements. En 2010, il a réalisé 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires pour un excédent
brut d’exploitation de 64 millions. Son endettement, lié à sa politique d’acquisition, atteignait en 2010 425 millions d’euros.
En France, Capio possède 26 cliniques qui réalisent chaque année 830 000 actes médicaux et
emploient 5 100 salariés dont 3 300 paramédicaux. 1 200 médecins sont en contrat d’exercice libéral avec le groupe. L’excédent brut d’exploitation se monte à 35 millions.
Un établissement type, comme la clinique de la Sauvegarde à Lyon, compte 200 lits, facture 10
000 actes par an et réalise 37 millions d’euros de chiffre d’affaires. Sa masse salariale pour 300 salariés se monte 17 millions et l’excédent brut d’exploitation est de 240 000 euros.
Franck Bouaziz
Publié le 19/04/2012 | Mots clés : Santé