Le président du groupe Vitalia, 2e groupe de cliniques MCO en France, avec plus d’une quarantaine d’établissements dans une dizaine de régions, revient pour Hospimedia sur des difficultés rencontrées localement pour maintenir des services au gré des autorisations, mais aussi sur les projets nombreux, immobiliers et médicaux, au sein de son parc hospitalier.
H. : »Votre groupe a connu et connaît dans plusieurs régions des situations difficiles touchant les cliniques. Fermeture d’établissement, autorisations d’activité écourtées…Il y a eu en 2012 le cas emblématique de Paray-le-Monial (lire ci-contre), et vous alertez aujourd’hui sur la situation de la clinique de Montluçon. Où en est aujourd’hui ce dossier ?
Jean-Baptiste Mortier : Effectivement, nous avons connu la fermeture manu militari de la clinique La Roseraie de Paray-le-Monial [en Saône-et-Loire], de manière administrative et complètement dictatoriale, à la fin du mois d’octobre 2012. L’État nous ferme, nous imposant de facto de nous « débarrasser » des personnels. Les négociations avec les syndicats se sont néanmoins faites dans de très bonnes conditions. Mais c’est quand même extraordinaire de voir cela dans un pays qui est censé vouloir redynamiser les entreprises et l’emploi ! Et je n’ai pas le sentiment que dans un territoire comme Paray-le-Monial, l’État pouvait se payer le luxe de licencier 70 personnes. Car c’est clairement l’État qui met 70 personnes à la porte. Nous avions pourtant repris cette clinique à la barre du tribunal et étions plutôt venus pour sauver les emplois, et les pouvoirs publics les détruisent à l’échéance d’un an. Par ailleurs, à Montluçon, on est dans la dictature sanitaire pure. On renouvelle l’autorisation des urgences pour 5 ans à la clinique en septembre 2012, Vitalia remet le service à neuf pour un investissement d’environ 500 000 euros. Puis l’on vous explique que finalement l’hôpital va mal, alors pour rapatrier des patients et augmenter l’activité du CH, notre autorisation est amputée dans la durée. Le groupe va déposer tous les recours possibles pour maintenir ce service dans la clinique au-delà de la fin 2014. Un recours est d’ailleurs d’ores et déjà déposé contre le [Schéma régional de l'organisation des soins] Sros Auvergne, qui porte également sur la problématique d’Aurillac.
H. : Une menace de fermeture du service de réanimation du Centre médico-chirurgical (CMC) de Tronquières a en effet été évoquée il y a plusieurs mois au profit d’une extension du service de réanimation du CH d’Aurillac (lire ci-contre)…Où en est la situation ?
J.-B. M. : Une évaluation des besoins en terme d’offre de réanimation sur le bassin de population va être vraisemblablement réalisée, a priori menée par la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR). Mais c’est quand même complètement incohérent que cette évaluation n’ait pas été réalisée avant que les décisions de réduire les autorisations en réanimation dans le Cantal ne soient prises !
H. : Constatez-vous, possiblement depuis le changement de majorité politique, que les pouvoirs publics sont encore moins enclins à maintenir ou donner des autorisations au secteur privé lucratif ?
J.-B. M. : Ce n’est pas « moins enclins », c’est désormais « plus enclins » du tout…Nous avions mené de grandes discussions avec le précédent gouvernement, et nous avions dans un certains nombre de cas en région des courriers écrits de l’ancien ministre Xavier Bertrand, avec des engagements de financement, en faveur de rapprochements entre cliniques privées et hôpitaux publics. Ces rapprochements étaient pourtant à mon sens, dans les territoires concernés - nous sommes plutôt un groupe rural - résolument salutaires pour l’offre de soins, or, depuis, absolument tout s’est arrêté. Je pense notamment au projet à Provins en Seine-et-Marne de rapprochement entre la clinique Saint-Brice et le centre hospitalier. Tout le monde était d’accord, il y avait un partenariat avec des accords de méthode signés et le projet avait été chiffré à 7 millions d’euros. Pendant 18 mois, nous n’avons eu aucune réponse de l’ARS Île-de-France à nos nombreux courriers. Et finalement, Claude Évin se déplace le 24 janvier dernier au CH pour annoncer son soutien à un nouveau projet pour le CH, dans lequel nous ne sommes plus partie prenante, pour des travaux d’un coût de 10 millions d’euros. Si ce n’est pas du parti pris pro-public, je ne sais pas ce que c’est…10 millions comme par miracle, alors que l’on nous dit qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses, comme l’ARS nous l’a indiqué par écrit. On ne peut pas ignorer par ailleurs le contexte particulier des périodes électorales, où certains élus concluent opportunément des accords entre eux. Comme par hasard, des annonces miracles arrivent à quelques mois des municipales. Où est la place de la santé au milieu de tout ça ?
H. : N’a-t-il pas été de tous temps ainsi ?
J.-B. M. : Je ne le pense pas. Nous avons par exemple trois partenariats public-privé qui ont pu être réalisés dans les dix dernières années, où la clinique Vitalia est accueillie dans les murs de l’hôpital, à Romilly-sur-Seine [Aube], à Saint-Amand-Montrond [Cher], à Langres [Haute-Marne]. Dans ces trois villes, nous prenons en charge la chirurgie, et l’hôpital gère les urgences, la médecine, la maternité. Les partenariats ont été véritablement salutaires pour les établissements de ces petites villes, sans cela, l’offre de soins n’aurait probablement pas pu être maintenue. Car ce qui est véritablement paradoxal, c’est que l’on nous a toujours taxé de groupe financier, puisque nous avons un actionnaire américain, [Blackstone]. Or, même si nous ne sommes pas des philantropes, nous avons l’impression parfois d’être les seuls dans certaines régions rurales, à se préoccuper réellement des problématiques de santé. Si nous avions des visées purement financières, nous n’irions peut-être pas acheter des cliniques à Nevers, à Chaumont, à Montluçon…! Et Vitalia a investi pour l’ensemble de ses cliniques dans les quatre dernières années 175 millions d’euros, notamment pour moderniser les plateaux techniques, qui n’auraient pas sans cela aujourd’hui ce niveau de technicité dans des zones rurales.
H. : Et comment se porte le groupe financièrement ?
J.-B. M. : Vous connaissez le contexte difficile pour le privé. Depuis trois ans, nous avons des niveaux de tarifs qui stagnent ou baissent, des charges qui augmentent naturellement beaucoup plus vite, par un effet de ciseaux, et le privé lucratif arrive pourtant encore à être rentable et à investir. Donc la dernière nouveauté de l’État pour sanctionner les bons élèves gestionnaires : la dégressivité tarifaire. Comme on va continuer à être bons, il faut essayer de nous sanctionner différemment. De plus, les premiers échos de la campagne tarifaire annoncent des récupérations au titre du [Crédit d'impôt compétitivité emploi] CICE, équivalant à une baisse de tarif de 0,49% et le maintien du coefficient prudentiel à 0,35%. C’est totalement incohérent et absurde que l’on tienne un discours de soutien aux entreprises, au nom de l’emploi et de l’investissement, que l’on vous octroie une aide pour créer cet emploi, puis qu’on vous reprenne illico les crédits d’une autre manière. Pourtant, nous continuerons à investir pour la qualité des soins. Mais nous ne pourrons sans doute investir au même niveau qu’auparavant, dans ce contexte contraint. Néanmoins, tout ce qui est gagné est réinvesti, puisque nous avons convenu avec notre actionnaire de ne reverser aucun dividende jusqu’en 2017.
H. : Quelle est l’évolution de votre activité ?
J.-B. M. : Nous n’avons pas perdu en volume d’activité et en nombre de patients. Notre chiffre d’affaires est en légère croissance en 2013, aux alentours de 700 millions d’euros, et nous aurons un excédent brut d’exploitation qui sera sensiblement au même niveau que l’année dernière. Par ailleurs, nous développons l’ambulatoire, conformément aux orientations sanitaires nationales. Vitalia connaît 2 à 4% de croissance de l’ambulatoire par an, or paradoxalement c’est une activité moins bien rémunérée et qui demande des investissements, de la formation, des restructurations immobilières…À Avignon, par exemple, nous avons inauguré un nouveau service ambulatoire début 2013 à la clinique Urbain V [lire ci-contre]. À la clinique la Châtaigneraie à Clermont-Ferrand, il y a aura à l’échéance de juin 2016 un nouveau centre ambulatoire tout neuf. La Châtaigneraie, qui va d’ailleurs accueillir la clinique des Chandiots, connaîtra une extension, grâce à un investissement de 20 à 25 millions d’euros.
H. : Par ailleurs, avez-vous finalisé la cession de la Polyclinique des Murlins et de la clinique de la Présentation au groupe Saint-Gatien dans le cadre du pôle de santé Oréliance dans le Loiret (lire ci-contre) ?
J.-B. M. : Nous avons effectivement finalisé la cession et le rapprochement de nos établissements orléanais avec le groupe de Christophe Alfandari, cela s’est bien passé. Mais là encore, c’était une décision d’attribution d’autorisations par l’ARS à laquelle il a fallu se plier, l’agence ayant sans doute considéré que le groupe Saint-Gatien avait plus d’historique que nous dans cette région pour l’autoriser à réaliser le regroupement des établissements. Après réflexion, il nous a paru au final logique et rationnel d’aller plutôt vers ce regroupement-là.
H. : Mises à part les difficultés que nous avons évoquées pour certains de vos établissements, j’imagine qu’a contrario, dans d’autres régions, les choses se passent bien pour vos cliniques…
J.-B. M. : Il y a énormément d’établissements où cela va très bien ! À la Policlinique Saint-Claude à Saint-Quentin [Aisne], par exemple, nous avons lancé un programme de rénovation complète de l’établissement à l’horizon 2016, pour un investissement total de 6 millions d’euros [lire ci-contre]. Et la situation se passe bien, en lien avec l’hôpital, avec lequel nous avons des partenariats dans tous les sens…À Avignon toujours, la clinique Montagard, 6 millions d’euros ont également été investis, pour la rénovation de l’hôtellerie et la construction d’un nouveau bloc opératoire, et l’inauguration sera faite dans les mois qui viennent. À la Polyclinique de Gentilly à Nancy, où un nouveau directeur vient d’arriver, Philippe Plages, nous avons beaucoup de projets, dont un projet de centre de soins de suite en lien avec Orpéa. Du côté d’Albi, la clinique Toulouse-Lautrec, où nous venons d’installer un robot chirurgical, a une demi-douzaine de coopérations avec l’hôpital. À la clinique Bouchard à Marseille, nous avons plusieurs projets de travaux, dont dans une première tranche qui prévoit de refaire notamment le service de dialyse lourde. Et l’on pourrait multiplier les exemples, mais j’évoquerai pour finir le projet de regroupement de la clinique des Ursulines et de la Policlinique Montier la Celle, situées à Troyes, évalué à quelque 8 millions d’euros.
H. : Poursuivez-vous par ailleurs d’autres projets de partenariat public-privé ?
J.-B. M. : Nous espérons que de nouveaux partenariats public-privé verront le jour dans des régions où, je pense, il serait très intelligent pour les deux parties de les nouer. Par exemple à Guéret dans la Creuse, ou encore à Chaumont en Haute-Marne, où les discussions avec l’ARS sont intéressantes et sereines. D’ailleurs, avec la grande majorité des ARS des régions où nous sommes implantés, les choses se passent bien. La réelle problématique se pose au niveau macro-économique de la politique sanitaire, la façon dont on traite l’hospitalisation privée, au niveau tarifaire, financier, etc. Il est bien évident que l’hospitalisation publique est fondamentale, mais aussi surtout que notre système de santé marche sur deux jambes, le public et le privé, depuis de nombreuses années. Et les Français en sont extrêmement satisfaits. Donc je ne comprends pas dans ce contexte que l’on fasse mourir à petit feu l’hospitalisation privée sur l’autel de la rentabilité de l’hôpital public. On nous oppose que le privé lucratif »attaque » l’hôpital. Mais comment le pourrions-nous ? Nous attaquons l’hôpital parce que l’on recrute de bons praticiens et que l’on est de bons gestionnaires ? Nous n’avons aucun pouvoir sur l’hôpital, ses recrutements, ses autorisations…! Je trouve incroyable qu’on essaie perpétuellement d’opposer le privé au public. Il faut cesser cette opposition stérile… En matière d’hospitalisation et de santé, ce devrait être une recherche constante de partenariat et d’efficience pour la meilleure prise en charge des patients possible et jamais, j’insiste jamais, être l’opposition partisane, alors que la création d’une fracture sociale n’apportera jamais rien de bon pour l’offre de soins.