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14 novembre 2018 3 14 /11 /novembre /2018 10:20

 

Le reportage d'Envoyé spécial questionne la protection des salariés et leur obligation de loyauté


Publié le 13/11/18 - HOSPIMEDIA

Publié le 13/11/18 - HOSPIMEDIA - HOSPIMEDIA

Publié le 13/11/18

De quelle protection bénéficient les lanceurs d'alerte dans le médico-social ? Les salariés peuvent-ils s'exprimer sur leur quotidien ? Trois reportages sur les Ehpad ont de nouveau soulevé ces questions. Alors que liberté d'expression et obligation de loyauté doivent se conjuguer, la protection des lanceurs d'alerte doit encore être confortée.

Une aide-soignante, ancienne salariée du groupe Korian, a témoigné dans un reportage d'Envoyé spécial dédié aux Ehpad — principalement privés commerciaux —, et décrit un manque de moyens et de personnels conduisant à de la maltraitance. Le lendemain de la diffusion du reportage, la réalisatrice a annoncé sur sa page Facebook qu'il avait été mis fin à la période d'essai de l'aide-soignante, alors employée par un hôpital privé à Marseille* (Bouches-du-Rhône, lire notre article). Qu'il y ait un lien ou non, la situation interroge sur la possibilité offerte aux salariés des ESMS de s'exprimer sur leur quotidien et les difficultés constatées, et soulève également la question de la protection des lanceurs d'alerte, un statut dont se prévaut l'aide-soignante.

Korian n'a fait aucun commentaire après la diffusion d'Envoyé spécial. Le syndicat majoritaire du groupe, Unsa Korian, a en revanche envoyé un courrier à France Télévisions, avant la diffusion, pour dénoncer la "diabolisation et le sensationnalisme" de ce type de reportage, "rarement à décharge". L'organisme a également mis l'accent sur les "dommages" occasionnés par ces émissions et l'impact pour les salariés, alors que le "secteur n'a cessé d'évoluer depuis près de 20 ans". Après une première plainte contre X pour abus de confiance et atteinte à la vie privée en novembre 2017 (lire notre article), Korian en a déposé une seconde mi-octobre.

Répondre au profond malaise

Interrogée sur la prise en charge en Ehpad privé commercial lors d'une séance de questions au Gouvernement, le 9 octobre à l'Assemblée nationale, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a "appelé à ne pas stigmatiser un type d'établissement plus qu'un autre". Elle a toutefois affirmé qu'elle avait à cœur "de répondre à ce profond malaise exprimé tant par les familles que par les professionnels qui travaillent dans ce secteur". Pour la ministre, la concertation grand âge et autonomie, qui doit déboucher sur une loi en 2019, "permettra une réflexion sur le modèle de prise en charge".

Liberté d'expression et obligation de loyauté

D'une manière générale, la liberté d'expression des salariés pose la question de la "difficile conciliation" entre les droits de deux acteurs, l'employeur et l'employé, explique à Hospimedia Guillaume Rousset, maître de conférences en droit à l'université Jean-Moulin Lyon 3 et membre de l'Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales (Ifross). Cette liberté, constitutionnellement protégée, doit en effet s'articuler "avec les obligations naturelles du salarié". Un ESMS, comme toute entreprise, a le droit d'exiger qu'un employé "ne nuise pas au bon fonctionnement ou à la réputation" de la structure. Bien entendu, cette règle doit également être conciliée avec la protection des lanceurs d'alerte, mais en dehors de ce cadre bien précis, la situation doit être étudiée au cas par cas.

Dans la fonction publique, le devoir de réserve apparaît comme l'équivalent de l'obligation de loyauté, avec une force supplémentaire cependant, "du fait de la nature juridique de l'employeur". Public ou privé, Guillaume Rousset souligne toutefois la spécificité du public accueilli dans les ESMS. La présence d'un usager vulnérable "implique un comportement encore plus respectueux de la part du salarié", estime-t-il.

Quelle protection des lanceurs d'alerte ?

Avec la loi Sapin II, la protection des lanceurs d'alerte bénéficie d'un cadre général en France. Cependant, "une ambiguïté subsiste", signale à Hospimedia Daniel Boulmier, maître de conférences de droit privé à l'université de Lorraine. L'article L313-24 du Code de l'action sociale et des familles (CASF) assure en effet une protection aux salariés ou agents qui témoignent de mauvais traitements ou de privations. La coexistence de ces deux règles pose problème, souligne Daniel Boulmier, puisque la protection apportée par le CASF est "moins formelle". "Je suis étonnée que l'on ne reprenne pas l'article L314-24 pour le mettre en conformité" avec la loi Sapin II.

Ce texte législatif prévoit une protection pour les salariés qui révèlent un crime, un délit ou encore une menace grave pour l'intérêt général. Mais "lorsqu'un professionnel d'établissement médico-social témoigne d'un mauvais traitement, quel texte s'applique ?", s'interroge le maître de conférences. Aucune jurisprudence n'est pour le moment venue éclairer cette question, alors que celle qui concerne l'application de l'article du CASF "n'est pas si favorable que ça aux salariés".

"Il faudrait un texte dédié aux lanceurs d'alerte dans le champ médico-social, avec un dispositif spécifique pour le secteur de l'aide à domicile."
Daniel Boulmier, maître de conférence

Pour bénéficier d'une protection en tant que lanceur d'alerte, un salarié ou agent doit suivre une procédure bien précise. Il ne peut immédiatement rendre publique son alerte mais doit tout d'abord avertir son entreprise ou administration. En cas de lacune, il doit alors saisir les autorités publiques. Ce n'est qu'en cas de manquement de ces dernières que le professionnel peut s'exprimer publiquement. Là encore, la coexistence de deux textes pose problème, puisque le CASF, lui, ne pose aucune procédure, ajoute Daniel Boulmier. Pourtant, le secteur médico-social est "un environnement où il serait impératif de procéder à ces dénonciations", lance le maître de conférence.

Les directeurs des structures sont également soumis, depuis janvier 2017, à l'obligation de signaler tout événement indésirable grave "mais là aussi, il n'y a pas de grand contrôle", poursuit-il. Daniel Boulmier cite également une limite à la protection des lanceurs d'alerte : seule une personne physique peut procéder à une dénonciation, "pas un groupe ou une institution" ni même "une organisation représentative ou syndicale". De manière générale, "j'ai le sentiment que la situation est toujours fragile, regrette le maître de conférence. Il faudrait un texte dédié aux lanceurs d'alerte dans le champ médico-social, avec un dispositif spécifique pour le secteur de l'aide à domicile. Aujourd'hui, c'est un vrai dilemme pour les professionnels d'intervenir".

Une première reconnaissance jurisprudentielle

La relaxe de Céline Boussié et la reconnaissance de sa qualité de lanceur d'alerte est une première dans le monde médico-social. Après avoir dénoncé des maltraitances, elle a été attaquée en diffamation par l'établissement dans lequel elle travaillait (lire nos articles ici et ). Le tribunal de grande instance de Toulouse (Haute-Garonne), dans sa décision, revient sur les faits dénoncés par Céline Boussié, "témoin privilégiée" en tant que salariée. Il estime que "nul ne peut rester indifférent aux lits avec barreaux trop petits, à la toilette faite devant l'ensemble du groupe, aux mesures de contention, ainsi que la difficile gestion de la violence de certaines d'entre eux". Pour les juges, ces questions s'imbriquent dans un débat plus important, relatif à la prise en charge du handicap et de la vulnérabilité, "notamment au travers de l'émergence des lanceurs d'alerte". Même si les propos de Céline Boussié pouvaient revêtir un caractère diffamatoire, le tribunal a relaxé l'ancienne salariée, précisément en raison de "l'intérêt sur le débat général des lanceurs d'alerte et de la maltraitance des personnes vulnérables et handicapées".

Un projet de directive européenne

Un projet de directive tendant à renforcer la protection des lanceurs d'alerte a été adopté par la Commission européenne en avril dernier et doit être bientôt examiné par le Parlement européen. Le texte vise à apporter une protection minimale commune, alors que certains pays n'ont pas du tout légiféré sur la question. Selon la commission, le projet de directive "propose les éléments clés d'une réglementation efficace et équilibrée qui protège les véritables lanceurs d'alerte, tout en offrant des garanties et des recours à ceux qui pâtissent de signalements inexacts ou malveillants".

Ces normes minimales visent à garantir, pour les lanceurs d'alerte, l'existence de canaux clairs de signalement, internes ou externes, les premiers étant à privilégier. En leur absence, le texte doit leur permettre de rendre leur alerte publique, et oblige les autorités à s'en saisir et à apporter une réponse. Il précise également que les représailles sont interdites et sanctionnées, tout en indiquant que les personnes visées bénéficient pleinement de la présomption d'innocence. Une fois adoptée, la directive devra encore être transposée dans le droit interne par les États membres. La France, qui a déjà un cadre en matière de protection des lanceurs d'alerte, pourra alors être amenée à modifier sa législation.

Cécile Rabeux

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